petit grand (requin)

ARRIVÉE EN VILLE : 02/09/2017

Y a le soleil qui brille là, tout en haut du ciel.
Et toi, t’es là, à genoux dans le sable, tes pieds nus sous tes fesses.
Petit sourire aux lèvres. Tu es seul au monde. Ici, c’est un peu un coin de paradis.
Un petit coin secret rien que pour toi. Oui, parce que t’entends pas les voix des adultes.
Parce que t’entends pas les cris, les reproches. Ceux qui te font froncer les sourcils. Non, ici, tu es si bien, au chaud. Alors que sur ton visage, se dessine un sourire merveilleux d’enfant heureux. Oui, alors que dans tes mains, tu tiens ton avion préféré. C’est celui que t’as eu en premier, le plus usé, le plus utilisé. Mais, tu l’as déjà repeint, oui, pour qu’il soit plus joli. Alors, il brille, tout rouge au soleil. Son reflet flottant au creux des remous de l’océan.

Bleu comme le ciel.
T’as comme l’impression d’être dedans.
De t’envoler. Les yeux brillants de joie.
Les lèvres vibrant l’une contre l’autre alors qu’on peut t’entendre doucement faire vrouuum et bbbrrrr. Eh bien oui, un avion, ça fait du bruit, avec son hélice si grande et son monteur puissant. Alors, l’avion fait du bruit, ton bras l’envolant plus haut, plus loin. Loopings farfelus. Murmures nombreux. Tu joues et tu es si content.

Tellement que soudainement, ton rire s’élance dans l’air. Comme ton avion qui fait un grand looping. Tu ris si fort, si beau. Que ça pourrait faire du bien aux gens. Mais, toi, t’es tout seul ici. N’est-ce pas. Tout seul avec ton avion. Tout seul pour jouer comme un petit, grand. Oui, c’est ce que t’es toi. Un petit grand, quelque chose comme ça.

ARRIVÉE EN VILLE : 25/08/2017

le géant pleure, encore, toujours, à chaudes larmes. comme si tout était fini, comme si la mer avait arrêté de s'échouer contre les rochers, comme si le soleil ne s'était pas levé ce matin, ou en retard, comme si les goélands avaient arrêté de chanter ce matin. le géant recroquevillé ressemble à un enfant, un tout petit enfant. on pourrait presque croire qu'il dort, allongé sur le sol du hangar. mais ses épaules tressautent au rythme des lourds sanglots qui écrasent sa poitrine.
lève toi requin.
et le géant se lève.
comme un gollem.
désarticulé.
et soudain, comme animé d'un feu ardent, il court.
sous son pas léger sur les pavés semble rester une étincelle, un rien de folie, beaucoup d'espoir.
soudainement, le géant mort veut voir la vie.
il veut que quelqu'un lui insuffle l'espoir et la conscience qu'il n'a plus, qu'il a perdu il y a longtemps. il sent partout sur lui les marques qu'elle a laissé cette nuit encore, comme s'il était l'autre, comme si elle l'aimait, comme si c'était délectable à en perdre la raison. il ne comprend jamais ce qu'il se passe ces soirs là, mais il sait qu'il est toujours incroyablement triste le lendemain. il a l'impression d'avoir loupé quelque chose. de ne pas être fait comme les autres. de ne pas être comme son frère.
il a besoin de quelqu'un pour le rassurer.
lui montrer qu'il est normalement différent.
la confiance, et le sourire, lui viennent en un son.
un vrrrrouuuum.
de petit enfant.
dans la bouche d'un adulte.
et le sourire de gamin se plaque sur les lèvres du requin.
je peux jouer ? s'il te plaît ?
il est beau ton avion tout rouge.
mais j'aime mieux le bleu.
comme la mer.
surtout foncé, quand elle est toute fâchée.

ARRIVÉE EN VILLE : 02/09/2017

Y a la voix.
La voix qui te fait sursauter, tu en lâches presque ton avion alors que tu te retournes. Le cœur qui bat trop fort. Le rouge qui glisse sur tes joues. Si papa savait, il te gronderait, que quelqu’un t’ai vu jouer comme ça. Tu es un peu gêné aussi. Normalement, y a jamais personne. Jamais. Jamais. Tes grands yeux le fixent, lui, grand bonhomme, tu lui souris doucement. Parce que finalement, y a la voix. Et, tu comprends peu à peu ce qu’il te dit. Et, ça te fait sourire trop grand alors que tu hoches la tête. Oh oui oui, tu veux bien qu’il joue avec toi et en plus… oh oui !

Ta main libre se tend vers lui. Lui fait signe de venir avant de te retourner. Parce que là, un peu caché par ton corps, t’en as tout plein d’autres. Des avions. Un jaune, un vert et un bleu aussi. T’en as toujours plein des avions. Alors, tu les attrapes et lui tends. « Regarde, regarde, j’en ai un bleu. Tu vois. Mais, un jaune et un vert aussi ! Tu veux lequel ? » Et tu pourrais presque ne pas t’arrêter de parler. Tellement c’est rare que quelqu’un veuille. Jouer avec toi.

Et ça se voit sûrement.
Achille.
Que t’es content.
Parce que y a tes yeux qui pétillent.
Ton sourire qui s’illumine.

Et, tu t’en fiches. Que lui aussi soit grand. S’il veut jouer alors, pourquoi pas ? Mais, t’es pas sûr que lui, il soit comme toi. Parce que papa, il ne cesse de te dire que y a que toi, ici. De bizarre. Un truc, plus ou moins comme ça.
« Tu t’assois, viens, viens ! »

ARRIVÉE EN VILLE : 25/08/2017

il sourit, le géant.
oui, souris requin, tu as un beau et grand sourire que tu devrais montrer à la terre entière. il est content. il ne joue jamais, parce que papa ne lui en laisse jamais le temps. alors quand il répare le bateau, quand il en prend soin, quand ils restent à terre quelques temps et qu'il enlève les coquillages qui ont décidé d'y loger, il se raconte des histoires. il se berce tout seul d'aventures solitaires, de réveil au son des mouettes, de s'échouer sur une plage inconnue et de créer son propre bateau. il s'appellera la crevette. mais ce qu'il aimerait c'est pouvoir jouer, et répéter ces histoires à haute voix.

alors il s'assied, quand la petite main -toutes les mains sont minuscules à côté des siennes-
lui fait signe d'approcher.
les fesses dans le sable,
les pieds dans l'eau
le sourire aux lèvres.

il tend sa main immense vers le minuscule avion bleu, il l'attrape, délicatement, comme s'il cueillait une fleur. une petite fleur fragile, une fleur des champs, une fleur sauvage. une pensée. voilà. il cueille l'avion comme on cueille une pensée. il s'en voudrait de le casser, ce n'est pas à lui, et c'est la première fois qu'il en tient un entre ses doigts. il peut sentir l'odeur de la peinture encore fraîche et du vernis éclatant. les coups de pinceau un peu maladroit par endroit. il fait tourner l'hélice, et comme quand les avions passent au dessus du bateau, il entend, il mime le bruit.

vrrrouuuum.

et il rigole.
parce que tout va bien.
parce qu'il a un ami.
ce n'était pas si compliqué
de le faire sourire.

t'as l'air de beaucoup aimer les avions. moi j'aime beaucoup les bateaux, j'en ai un, enfin, il est à ma famille. il est trop beau, et c'est mon préféré de tous. tu crois que ton avion rouge, il est rouge comme le bandeau des pirates des histoires d'avant ? tu crois que c'est un avion de pirate ? moi j'aime pas trop les pirates, ils me font peur. mais leurs avions ils sont jolis.

requin muet babille joyeusement,
comme un enfant heureux,
heureux d'être avec l'enfant-bonheur.

ARRIVÉE EN VILLE : 02/09/2017

Tu serais presque surpris.
De le voir répondre à tes sourires.
De le voir attraper l’avion et, commencer à faire comme toi.

Parce que d’habitude, les grands, ils ne font pas ça. Non.
D’habitude, on te regarde un peu bizarre et papa arrive.
Il te les arrache, grogne un peu et te demande d’arrêter de faire l’enfant.
Enfant.

Toi, t’as compris que t’en étais encore un.
Oui, un grand petit. Un grand de corps et petit de tête.
Tu sais pas trop pourquoi. Ou comment tout ça marche.
Tu sais juste, que parfois, y a des vieux qui te jettent des regards en biais.
L’idiot du village. Quelque chose comme ça.

Mais lui. Lui le grand, il a attrapé ton avion et il fait comme toi. Alors, tu peux pas t’empêcher de sourire si fort, l’accompagnant de tes vrouuums. Pirouette incertaine, tu fais virevolter ton avion autour du sien. Comme les vrais dans le ciel. Comme ceux dans lesquels tu voudrais tant t’envoler. Là, tout là-haut dans le ciel trop bleu. Tu le regardes, lui souris, tu rougis de son attention, de son sourire à lui. « Oui ! Je voudrais tant pouvoir m’envoler. Mais, papa, il veut pas tu vois. Alors, bah, j’en ai plein de comme ça, toutes les couleurs. Même si…mhmm, normalement on joue pas avec moi. » Et ça rend ta bouille un peu triste. Oui, parce que c’est vrai que finalement, Achille, t’es souvent tout seul. Seul dans ta tête, dans ton corps. Seul, dans ta maison, dans ta chambre. Seul à ne pas tout comprendre. Seul, sans que personne ne vienne t’expliquer. Vraiment. Pourquoi t’es pas comme tout le monde. Mais… mais aujourd’hui c’est pas grave. Il est là, lui. « Oh ! Papa aussi a un bateau, pour pêcher les poissons. J’aime pas trop moi. Mais, j’y vais de temps en temps. »

Oui, pêcher. Là où la mer te donne légèrement le mal. Et puis, t’as un peu du mal à les regarder, vaciller vers la mort. Poissons frétillants qui peu à peu s’éteignent. C’est une des choses que tu ne saisis pas très bien non plus. La mort. Comme la guerre. Relever les yeux perdus dans l’océan. Sourire encore. « Oh, et je m’appelle Achille et toi ? » Parce que ce serais bien oui, de savoir qui est ton nouvel ami ?

Et tu recommences à faire s’envoler ton avion, petit bruit de lèvres. « Moi j’aime les avions, et les pirates des fois, ils font pleins de figures ! C’est beau. Dit, on fait des figures ? Mais, faut pas les écraser dans l’eau. Oh non non. » Et ton bras créer une pirouette incertaine.

ARRIVÉE EN VILLE : 25/08/2017

son papa veut pas qu'il soit aviateur
le sien veut pas qu'il soit marin-pêcheur.

alors, requin regarde les petits avions avec envie. c'est comme quand il s'imagine être tout seul sur son bateau. quand il se raconte des histoires. oui, c'est la même chose. ils sont pareils. mais achille, il porte la joie sur son visage, le bonheur naïf est accroché à ses lèvres. le pirate porte la tristesse, mais le grand enfant l'a effacée. peut-être qu'il apprendra à sourire, ce sera joli sur son visage de grand gamin. c'est bête, moi j'aime bien jouer avec toi. y a jamais personne qui joue non plus, et puis, j'ai pas trop de jouets, alors j'imagine que mon grand bateau c'est le mien, et c'est comme un jouet, mais en très grand. si papa veut bien je t'emmènerai, on pourra imaginer qu'on est des pirates comme ceux des livres que maman me lisait.

il sait même pas lire requin,
il est pas là pour naviguer, il est là pour effrayer
il sait compter, mais pas lire.
les histoires, sans maman, il doit les inventer.
mais y a achille maintenant
achille et requin. comme le gros poisson méchant.

tu souris et tu rigoles même un peu, faisant des figures, tenant doucement mais fermement le petit avion entre tes doigts costauds. une boucle dans les airs, des tonneaux, et d'autres qui n'existent sûrement pas. le pauvre pilote serait secoué dans tous les sens et finirait par rendre son petit déjeuner, s'il était dans ton avion. ouii, des fois je me mets sur le pont du bateau et je les regarde. ils sont trop beaux, on dirait qu'ils pourraient aller jusqu'à la lune en faisant des figures, ils montent si haut dans le ciel !

tu n'en parles pas, de ton admiration
et de tes moments d'observation
tu ne voudrais pas que ta famille
détruise ça aussi.