Beaucoup de houle ? Oh, oui. C’est argenté dans le ciel et les vagues, l’écume, il voulait dire, n’est jamais totalement blanc. Il y a des crocs qui dépassent de l’eau, d’ailleurs ça doit être vraiment le nom qu’on leur donne, les Crocs, et pour une fois la vision des terriens et celle de Bosco se rejoignent en mer et signent poliment un accord de nomenclature. Il les trahira quelques instants plus tard pour y voir un autel sacrificiel opportuniste, là pour une bonne raison. Lui, s’en fiche. Son bateau est cuirassé et bien qu’il n’ai pas l’audace de se penser à l’abri, du moins se sait-il solidement ancré à la surface et par ce fait même protégé de la voracité du gouffre. C’est pour ça qu’il voulait le baleinier, et pas les esquifs, pas les trois mats, pas ceux qui comptent sur le traître souffleur pour onduler avec l’eau bleue. Enfin, voila. Il passe les Crocs, tranquille. C’est argenté.
Il y a des débris, il s’attend presque à voir du rouge. Le ressac fait danser les restes frais d’une embarcation malheureuse, encore une fois, la bonne raison. Il ne trouve pas ça triste. Charon passe dans son vieux tueur de géants, contemple sans penser à rien ce qui pas plus loin qu’aujourd’hui faisait filer cœur terreux et poumons secs entre les vagues. Ça fera une jolie épave.
Pourtant, les courants sont étranges. Il y a de petits tourbillons, signes d’effort. L’argent de l’écume est un peu trop blanc. Quelque chose refuse de couler… Il voit une main, qui s’agite, et même, deux yeux. La pensée le foudroie : la baleine, les flancs percés de la baleine. Ça s’appelle, la peur de la mort. Il n’est pas là par hasard, n’est-ce pas ? Pourquoi n’est-il pas passé plus tard, ou ailleurs ? Il y aurait eu un mort, pas de sa faute. Mais là il va mourir. Et tu es là. Simple question de bon sens.
Donc il lance une bouée, une corde, comme on fait d’habitude ; et la vie s’y accroche, il se sent royal. Ça fait presque peur ? Bah ; nous disions donc, il remonte le naufragé. Bientôt ils sont deux sur le bateau, et Bosco observe, la jeunesse, les habits trempés, la respiration saccadée, les yeux perçants. Il ne parle pas tout de suite. Il ne comprend pas trop pourquoi, mais il est en colère.
- Qu’est-ce que tu foutais là ? Qu’est-ce que tu fous en mer si tu sais pas mener une barque ? Tu tiens vraiment à crever ?
Un aboiement de loup de mer.